Bougnat, apporte-nous du vin !


Ipod en mode aléatoire. Brel, Mathilde … Le parfum d’une chanson. Et paf.

J’ai 15 ans. Je suis en quatrième humanité. Le défi de la quatrième, c’est l’exposé du cours de français de Mme Heller. On a un nœud au bide rien que d’y penser. J’avais un nœud au bide rien que d’y penser. Mais je savais. Je savais de qui j’allais leur parler. On devait, je crois, présenter un artiste. C’était une évidence. J’allais parler de Brel. D’autres pensaient peintres, sculpteurs, moi je pensais Brel.

Evidemment, je l’avais entendu à la maison depuis mon enfance. Evidemment. Sans plus. Le déclic a eu lieu devant la télé. Une émission « spéciale ». Dix ans après sa mort.

Scotchée. J’ai vu Mathilde … Comme jamais je ne l’avais vue en écoutant simplement la chanson. Ou plutôt non, j’ai vu un homme qui luttait. Qui luttait pour résister à une femme. Une femme qui lui avait, apparemment, écrabouillé le cœur. Qui luttait et qui perdait. Sauf que son visage disait qu’il avait gagné. Ce qui était complètement incompréhensible pour moi. Et fascinant.

Le visage de Brel quand il chantait sa Mathilde. Il était là, mon déclic. Je le voyais avec mes yeux d’ado. J’étais, oui, fascinée par ses expressions.

Je voulais partir de là. De la manière dont il vivait ses chansons. Il était mille et un personnages à lui tout seul sur scène. Il était l’ami qui traîne Jef boire chez la mère Françoise pour qu’il oublie sa fausse blonde. Il était le moribond qui voulait qu’on danse quand c’est qu’on le mettrait au trou. Il était celui qui offrait ses bonbons d’un air nigaud. Il avait le même air quand il attendait Madeleine. (Je ne l’ai JAMAIS aimée, cette Madeleine. Elle fait souffrir sans rien offrir). Il était l’amoureux d’Orly qui disparaît, bouffé par l’escalier. Ils étaient deux amis et au début la Fanette l’aimait. Il était ces gens-là.  Il était beau, beau, beau et con à la fois.

Je suis partie de là après avoir présenté la vie du bonhomme. Mots et visage. Un bonheur. Dans mes souvenirs, en tous cas.

J’ai (presque) 37 ans et voir Brel chanter Mathilde me touche toujours autant. Je le vois avec mes yeux d’adulte. Je les regarde différemment, elle et lui. Je comprends enfin vraiment l’enfer, le vin, les noces et les festins. Et le ciel, j’ai craché dessus aussi. Mathilde est la vie. Madeleine rend terne.

J’ai (presque) 37 ans et la Mathilde de Brel est ma Madeleine de Proust pimentée par le temps qui reste  … Mathilde n’est pas juste une histoire d’amours torturées. Mathilde est la vie, la vraie. Les pics d’émotions. Les puits sans fond. Les moments paisibles où l’équilibre nous surprend. Les emportements. Les rires bordés de larmes. Le spleen. Les bulles de bonheur.

Soupir. Sourire.

« Je l’aime tant, le temps qui reste… Je veux rire, courir, parler, pleurer et voir, et croire et boire, danser. Crier, manger, nager, bondir, désobéir. J’ai pas fini, j’ai pas fini. Voler, chanter, partir, repartir. Souffrir, aimer. Je l’aime tant le temps qui reste »*

* Serge Reggiani, le temps qui reste.

8 réflexions sur “Bougnat, apporte-nous du vin !

  1. C’est la sagesse, aimer le vin, – La beauté, le printemps, le printemps divin, – Cela suffit. Le reste est vain. – Théodore de Banville

    • Tu as vraiment dit ce qu’il fallait à propos de Brel et qd je partirais tu pourras être de ceux qui viennent chanter ma chanson préférée : » » La quête parce que tu sais déjà la vivre.

      Merci pr ce tendre témoignage

  2. Je suis scié… là, tu commences à écrire… là, tu commences à dire quelque chose… c’est fin, malin et beau à la fois… je te l’avais déjà dit, j’en ai toujours été persuadé mais j’aime par dessus tout que cela se confirme, tu as un talent d’écriture… travaille-le, crois en toi, continue… quitte l’ombre dans laquelle tu a cru devoir rester jusque maintenant… Waouw 🙂 (et oui, cela ne concerne cette fois ci que nous:-)

  3. C’est drôle, de mon côté, je n’ai aucun souvenir précis de ma rencontre avec le Grand Jacques. C’est comme si je l’avais toujours connu, comme si ses mots avaient toujours fait partie de moi. Mais l’émotion est la même, tout aussi forte … enfin, je crois. Et différente à la fois.
    Un très bel article pour un jeune blog tout à fait prometteur. Des mots, de l’humour, de la simplicité, de l’émotion, … continue comme ça, on en redemande !

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